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Des outils et des hommes. Le fantasme de l'outil magique dispense-t-il de travailler sa posture d'accompagnant ?

par Franck Damée- mars 2023.

Des outils à tout prix.
Je crois pouvoir affirmer que sur les centaines de sessions de formation de formateur que j'ai eu le plaisir d'animer ces 10 dernières années, le mot "outil" a été systématiquement prononcé au cours du traditionnel tour de table des attentes, et bien souvent par une écrasante majorité des participants : "Ce que j'attends de la formation, c'est d'avoir des outils pour remobiliser les demandeurs d'emploi, les rendre plus acteurs. Et que ça marche pour tous les cas de figure. Ce que je souhaite, c'est repartir avec des outils pour faciliter l'animation des ateliers. Je me suis inscrite à cette formation pour avoir des outils innovants parce que ceux que j'utilise ne fonctionnent pas avec mes étudiants."
Loin de moi l'idée de délégitimer cette attente car l'outil rassure et si la demande est récurrente, c'est sans doute aussi parce que les formateurs (moi y compris) les distillent régulièrement dans leurs programmes de formation.

L'outil dans l'imaginaire collectif.
Pourquoi ? Parce qu'il faut bien admettre que l'outil magique, le "bidule universel" est complètement intégré dans notre imaginaire collectif, il nous est vanté depuis la nuit des temps, et pas seulement par les camelots de foire : le bâton de Moïse qui fait jaillir l'eau du rocher ou se transforme en serpent selon le besoin, la baguette d'Harry Potter qui associée à la bonne formule permet de traiter à peu près toutes les situations, le couteau suisse de MacGyver et sa version testéronée, le poignard multifonction de Rambo. Qui n'a jamais rêvé d'avoir sous la main un de ces outils permettant de résoudre instantanément tous les problèmes quotidiens ? Et même si nous sommes conscients que l'outil magique n'existe pas, il nous arrive encore de céder à la tentation d'acheter le dernier autocuiseur connecté vanté par la grande prêtresse Ophra Winfrey, l'ultime outil qui fera de nous de parfaits cuisiniers ! Mais si la sagesse populaire nous martèle qu'on reconnait le bon ouvrier à ses outils, je dois bien convenir après avoir testé ce robot connecté que l'outil le plus sophistiqué ne fait pas le cuisinier (sic)

Outil vs Posture.
Ce qui est valable en cuisine l'est aussi en matière d'accompagnement. Lors d'une formation de formateur, une jeune conseillère confiait au groupe son désarroi face à des jeunes qu'elle jugeait passifs et non impliqués dans les ateliers qu'elle animait. Pourtant durant les deux journées qu'a duré la formation, je ne l'ai pas vue une seule fois prendre une part active aux exercices proposés : escape game pédagogique, World Café, Kahoot. Et sans surprise lors de la restitution, elle s'est dite frustrée de ne pas avoir trouvé dans cette formation la solution à son problème. L'effet miroir est ici bien cruel. Et en même temps tellement humain. Sa quête de l'outil magique et universel risque bien de rester vaine tant que cette conseillère ne travaillera pas sa posture. Car tout comme la truelle ne fait le maçon que s'il entraîne son geste, l'outil d'animation ne fait l'accompagnant que s'il travaille sa posture ! Fort heureusement, les outils ont cette vertu d'obliger le plus souvent l'accompagnant à s'adapter. Voyons avec deux exemples simples comment l'outil résonne avec une posture adéquate.

Quand l'outil modifie la posture.
Un conseiller bilan de compétences utilise un jeu de photographies et demande à son bénéficiaire de choisir celle qui représente le mieux son objectif professionnel. En questionnant le bénéficiaire sur cette photo, en lui demandant en quoi elle évoque son objectif professionnel, le conseiller ne se contente pas de mettre en ouvre un outil facilitateur de communication mais il change de posture : il modifie sa posture physique en cessant de faire face au bénéficiaire pour se placer à ses cotés et regarder dans la même direction, celle de la photo. De fait, il investit littéralement la posture d'accompagnant (cheminer à coté) au lieu de rester dans la posture confrontante du conseilleur. On comprend comment le changement de posture physique induit un changement de posture professionnelle car dans ce cas l'outil amène le conseiller à faire alliance avec son bénéficiaire pour le rendre acteur de son projet.

Un formateur propose à son groupe un WorldCafé pour générer des idées innovantes pour favoriser l'insertion professionnelle des jeunes. Ce faisant, il ne se contente pas de mettre en ouvre un outil de brainstorming mais il change de posture. Les participants de son groupe sont désormais debout et se mettent physiquement et intellectuellement en action tandis que le formateur s'efface (il peut même s'asseoir et se taire ;-). De fait il accepte de ne pas avoir de contrôle sur le process de réflexion et de production du groupe. Ici l'outil oblige le formateur à lâcher prise et descendre de son estrade (ne plus être le sachant) pour rendre le groupe acteur et producteur de ses solutions.

On comprend avec ces deux exemples que l'outil impose un changement de posture. Et si ce changement de posture n'est pas accepté par l'accompagnant, il y a fort à parier que l'outil se montre peu efficace. Ainsi le conseiller bilan de compétences qui cherchera malgré tout à orienter les réponses de son bénéficiaire verra probablement ce dernier se murer dans le silence... Et le formateur qui se montrera intrusif ou jugeant sur les idées produites au cours du World Café finira probablement par désengager son groupe de la réflexion. On peut multiplier les exemples : en animant une séquence de jeux de rôle pour travailler l'entretien d'embauche, le formateur se mue en coach. Lorsqu'il anime un Kahoot il disparait du champ visuel du groupe pour devenir "la Voix" des jeux télévisés. Lorsqu'il propose un escape game pédagogique, il se déguise et se fond dans le décor pour investir une posture d'observateur. Pour que cela fonctionne, il faut encore que le formateur accepte de travailler sa posture, c'est-à-dire de se changer lui-même.

Puisqu'on ne peut changer la direction du vent, il faut apprendre à orienter les voiles (James Dean)
Et l'on sait combien il est plus facile de prôner le changement que de se changer soi-même : "Quand ça ne marche pas, ce sont les autres qui doivent changer, pas moi." Il nous faut ici un peu d'humilité pour reconnaitre que cette pensée (bien humaine) nous a certainement effleurée un jour ;-) et qu'elle participe assurément au plébiscite de l'outil magique. Car enfin, il est plus facile (et moins impliquant) de changer d'outil que de changer de posture. L'outil est un objet externe, rapporté, il n'est pas Moi et est donc possiblement critiquable et interchangeable.

Le meilleur outil de l'accompagnant.
Pour conclure (ou pas). Loin de moi l'idée que les outils et techniques d'animation ne sont d'aucune utilité. Ils sont des supports techniques intéressants pour structurer l'intervention, ils sont attendus par le public, et ils rassurent l'accompagnant, le conseiller, le formateur. Au point même que ces derniers auront tendance à utiliser fréquemment les outils avec lesquels ils se sentent en confiance, "parce que ça a déjà bien fonctionné" (on est parfois pas loin du gri-gri.) Puis en gagnant en expérience, l'accompagnant désacralise l'outil, il le modifie ou l'expérimente dans un autre contexte. Pour finir un jour par l'oublier, signe d'une maturité professionnelle qui l'autorise à penser que le meilleur outil (le seul ?) qu'il a réellement à sa disposition, c'est lui-même.

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